À
son retour, Gros Sel l’apostrophe :
« –
Papa comment est le ciel ce soir ? «
André :
« –
Superbe, il y a des milliers d’étoiles, on y voit comme en plein jour, demain
il fera très beau pour le match. »
Gros
Sel :
« –
Pierrot, tu vas pouvoir retrouver la Goulue, ils ont éclairé son étoile.
«
Germaine
et André poussent un soupir et regardent leur fils d’une façon
désespérée :
« –
Gros Sel, arrête de te moquer de ton frère, un soir, il va mal le prendre et
vous allez encore vous battre. »
Gros
Sel :
« –
Non, on ne se bat plus. Nous avons un pacte de non-agression et nous avons
signé la paix. »
André
en l’embrassant :
« –
C’est vrai que tu es un champion à l’école et il lui fait un gros bisou qui
claque bien fort sur le front.
Le
dîner est pris rapidement et chacun regagne ses pénates. Vers 11 heures 30, la
grand-mère fatiguée, par toutes les émotions de ces nouveautés, monte se
coucher à son tour. La voie est libre pour Pierrot, surtout que son petit frère
s’est endormi depuis longtemps.
Sans
bruit, vers minuit, il se glisse hors du lit et se rhabille. Il a le cœur qui
bat. Il ouvre la porte du palier, tout le monde dort. Un silence de plomb a
recouvert la maison. Seuls, les ronflements de son père résonnent entre les
murs. Il les entend jusqu’au bas de l’escalier. Il a ses chaussures à la main.
En passant devant la table, il attrape la cage et en silence, ouvre la porte et
se retrouve dans la cour. Dans sa chemise, il a caché les ossements, les bols
et la dent sont tout au fond de ses poches.
Après
avoir enfilé ses chaussures, il court à toutes jambes vers le château. Il n’est
pas très rassuré, les arbres, les murs, la nuit étoilée lui font un peu peur,
il a le cœur serré, mais il en a vu d’autres.
Arrivé
devant la grille, il attrape la chaînette et la tire jusqu’à ce que la lumière
du perron s’allume. Quelques secondes plus tard, il entend un pas qui foule le
gravier de l’allée principale.
Les
pas s’approchent de la porte. À quelques dizaines de mètres de lui, il entend
Ralph qui demande :
« –
C’est toi Pierrot ? »
Pierrot :
«
– Oui, c’est moi, Pierrot ! »
Ralph :
«
– Oui, mais tu es en avance, le docteur Melchior avait dit vers minuit 15, il
n’est pas encore minuit. Bon, tu es là avec le papillon, c’est le plus
important… »
Pierrot :
«
– Je ramène le papillon, la cage et quelques objets. »
Ralph :
«
– Pose tout à terre. Je vais me débrouiller, le jardinier arrive, il va
m’aider. »
Pierrot :
«- Je
n’ai pas le temps de m’expliquer, le docteur Melchior est au
courant,
voyez avec lui. Cachez-les bien, je dois rentrer au plus vite. »
Ralph :
«
– Donne tout et rentre vite te coucher. »
Ralph
prend la cage et referme la porte à double tour. Ici tout est en sécurité. Le
jardinier arrive et aide Ralph à tout remonter au château.
Prenant
ses jambes à son cou, Pierrot s’en retourne rapidement vers sa maison. C’est la
première fois qu’il fait une fugue. Il est minuit cinq. La lune semble lui
sourire et des milliers d’étoiles brillent dans la voie lactée, pour mieux
éclairer le chemin de sa maison.
En
quelques minutes, il est de retour chez lui, tout essoufflé. Heureusement il
n’a croisé personne. Il s’arrête devant la porte, se déchausse, et en profite
pour reprendre son souffle pendant quelques minutes. Puis, il rentre dans la
maison, remonte en silence dans sa chambre, se déshabille et se glisse dans ses
draps tout en sueur, plus mouillé par l’angoisse de la fugue que par l’effort
physique qu’il vient de produire.
Heureusement,
le papillon et les objets sont désormais en lieu sûr, bien malin celui qui
découvrira où ils sont. Très vite vaincu par la fatigue, il tombe dans un
profond sommeil.
Ralph
après avoir refermé la porte, retourne d’un pas lourd vers le château. Il pose
la cage dans le vestibule et, levant la tête, il aperçoit le docteur en haut du
grand escalier de marbre. :
« –
Pierrot était en avance ? »
Ralph :
« –
Herr Docteur, c’est le jeune Pierrot, il a ramené la cage et les objets.
Quelle
drôle d’heure pour venir sonner chez les gens ! »
Le
docteur Melchior:
«
– Il a bien fait, ce garçon est plein d’à propos. »
Ralph :
« –
Ah bon, mais il aurait pu attendre demain pour un papillon. »
Le
docteur Melchior en souriant:
« –
Je ne le crois pas Ralph, je ne le crois pas…. »
C’est
donc en toute tranquillité, qu’il récupère les objets, la cage et le papillon
et se retire dans sa chambre. Là-haut, il ouvre son passage secret et chaque
chose est placée dans un endroit dont il connaît seul l’accès.
En
regagnant sa chambre, il repasse sur le palier et aperçoit Ralph éteignant
les dernières lumières…
« –
À demain et bonne nuit, Ralph, Merci. »
Ralph :
«
– Bonne nuit, Herr docteur. »
Décidément,
depuis que ses enfants sont entrés dans leur vie, rien n’est plus comme avant,
toutes leurs habitudes sont chamboulées…
Que
va t-il encore leur arriver demain? Ils ont plus de travail, mais d’un
autre côté, la vie a enfin du piment et la routine a disparu. La maison vit
désormais au rythme des visites des enfants. Mais les choses semblent
s’accélérer depuis le voyage en ballon. Si Rose l’avait entendu tenir de tels
propos, elle n’aurait certainement pas été de cet avis.
Ralph
va se coucher le cœur gai. Il aime bien ces enfants, même si il est loin de
tout avaliser.
Quant
au Papillon, il trône désormais dans le salon secret du docteur Melchior ou
Rose devra chaque jour en prendre soin. Les choses sont rentrées dans l’ordre
mais pour combien de temps.
Le
lendemain Gros Sel est prêt de bonne heure. C’est dimanche et il accompagne sa
mère et sa grand-Mère à la messe. Pierrot, reste à la maison pour finir ses
devoirs et apprendre ses dernières leçons. Lundi en principe il y a de
nouvelles compositions et il a décidé d’être le premier de sa classe. La
concurrence sera rude. Il doit travailler plus que les autres. Au moment de
partir, ils voient descendre leur père endimanché, en costume noir, cravaté,
chemise blanche et chaussures vernies aux pieds.
Germaine
et la grand-mère le regardent et s’exclament en choeur:
« –
Mais André où vas-tu ?
André :
« –
Mais avec vous Mesdames, je vais à la messe dire bonjour au bon Dieu et à ton
bon curé.
Germaine
et la Grand-mère y perdent leur latin et ne trouvent rien à répondre.
Gros
Sel glisse à Pierrot qui observe la scène en riant :
« –
C’est la dernière du papillon »
Pierrot
en douce, à l’oreille de Gros Sel :
« –
Impossible coco, le papillon, les os, la dent et les bols ont quitté la maison
cette nuit, ils sont en sécurité désormais. Toi tu ne sais rien, tu dormais.
Tout est de retour au château. Je vais tout mettre sur le dos du vieux
monsieur. Il sera venu pendant la messe. Papa croit qu’il sera au match cet
après-midi. Il ne sera pas content mais tant pis. Toi tu ne sais rien. Va à la
messe et observe tout. Papa a lancé son plan de séduction, je vais devoir gérer
et jouer serré avec lui. Il comptait sur l’effet papillon. Nous allons devoir
avoir des idées pour trois. Je compte sur toi.
Gros
Sel émet un sifflement qui fait se retourner son père :
Il
aperçoit Pierrot et lui dit :
André :
« –
Pierrot, tu ne nous accompagnes pas ? »
Germaine :
« –
Non, comme il va au foot cet après-midi, il doit finir de réviser ses
compositions. Je dois lui faire réciter ses leçons en revenant de la
messe. »
André :
« –
Garde bien la maison, dommage que tu ne sois pas avec ton père. »
Pierrot :
« –
Papa, je viendrai dimanche prochain, je ne pouvais pas deviner. Tu nous caches
toutes tes décisions »
Germaine :
« –
André nous allons arriver en retard. J’espère que tu n’auras pas le culot
d’aller communier. »
André
rien que pour l’embêter…
« –
Pourquoi pas…L’église aurait elle aussi des interdits ? »
Germaine
en haussant les épaules, commence à marcher suivit par la grand-mère qui
dit :
« –
Le Curé risque d’y perdre son bréviaire en te voyant arriver. !!! »
Gros
Sel marche derrière son père et rejoint sa mère, toute la famille s’en va à
pied.
Pierrot
pense :
« –
Une diversion intelligente qui tombe à pic. »
Le
cortège traverse le village, André saluant les uns et les autres pour être
remarqué et lâchant quelques fois :
« –
C’est important la messe, chacun doit faire son humanité et expier ses fautes,
moi y compris. Je n’ai pas souvent le temps, mais j’ai décidé de faire preuve
de plus de civilité envers l’église, nous en avons tous besoins. »
En
l’entendant parler de cette façon, Germaine et la grand-mère n’en croient pas
leurs oreilles et se demandent s’il n’est pas malade. Ils finissent par
atteindre, tous ensemble le parvis de l’église, ou monsieur le curé à
l’habitude d’accueillir, chacune de ses ouailles le dimanche matin.
D’autres
se sont joints à la famille le long du chemin et c’est en cortège qu’ils
débarquent tous ensemble à la porte de la maison de dieu. Chacun observe avec
attention, sans comprendre le revirement clérical d’André. Le curé complètement
pris au dépourvu, s’approche de lui et bafouille d’émotion quelques mots. Il ne
sait plus, s’il doit implorer, la Madone, Jésus ou le saint-esprit, pour ce
miracle aussi important pour lui, que l’apparition de la vierge Marie pour
d’autres.
André :
Bonjour,
monsieur le curé j’accompagne ma petite famille, une fois n’est pas coutume.
Pierrot est absent, il travaille, mais je fais allégeance, j’ai beaucoup à me
faire pardonner et je compte sur vous mon Père pour m’ouvrir enfin les portes
de la maison de Dieu.
Le
vieux Curé sent les larmes lui monter aux yeux et ne comprend rien à ce
changement d’attitude. Il est à la limite de défaillir. Il ne peut articuler
qu’un simple, que Dieu vous bénisse. Ce sont les seuls mots, qu’il soit capable
de prononcer. Après ses vœux, c’est sûrement la plus belle journée de son
sacerdoce qui lui soit donné de vivre.
Pendant
que le bedeau referme la porte de la petite église qui s’est remplie en
quelques minutes, le vieux curé part passer sa chasuble et essayer de
récupérer. Il s’assoit même quelques minutes. Par deux fois, il se retourne en
se demandant s’il n’a pas été victime d’un mirage de la foi ou d’une
hallucination.
Mais
de sa sacristie, il aperçoit André et sa famille qui se sont installés, au
premier rang de ses fidèles. C’est l’heure, il doit y aller. Après une prière,
il avance vers la chair, ou il prononce un sermon qui par la force des choses
n’a pas été préparé. Il remercie le seigneur de lui avoir permis de voir
de son vivant, André se rendre volontairement à l’église et comme une brebis
égarée regagner seul et de sa propre volonté son troupeau.
Lui,
n’a jamais douté de le voir revenir et son vœu vient de se réaliser. J’ose
espérer que ce ne sera pas sans lendemain et que d’autres le suivront sur le
chemin de la rédemption. Désormais, il peut rejoindre le Seigneur avec la
satisfaction du travail accompli. Tous ont des larmes dans les yeux et pour
ceux qui chantent des trémolos dans la voix. L’émotion non feinte du vieux
curé, va faire jaser dans les chaumières et ouvrir la discussion à bien des
suppositions.
Même
André se prête au jeu, même s’il se doute qu’il va devoir s’expliquer en haut
lieu sur son revirement inattendu. Les thèses des communistes ne sont guères en
accord, avec celles qui sont préconisées par l’église.
Mais,
il a réfléchi, c’est important qu’il devienne le prochain maire du village.
Henri IV a dit :
« –
Paris vaut bien une messe. »
Pourquoi,
ce qui fut valable en d’autres temps pour un roi ne s’appliquerait pas à un
simple quidam. Par contre, les grenouilles de bénitiers n’apprécient pas la
présence de ce mécréant autour d’elles.
Au
grand soulagement de Germaine, André ne vient pas communier, mais en bon et
vrai chrétien, il suit la messe jusqu’à son terme. Au final, tous sortent sur
le parvis, suivi par le vieux curé qui les accompagne jusqu’au bout.
Tous
se mettent en cercle autour de la famille Hillairet. Ils veulent le voir ou lui
parler et entendre ce qu’ils se disent avec le curé. Au moment de partir, André
l’invite pour le déjeuner.
André :
« –
Nous devons parler de tout ceci, je dois vous expliquer. »
Mais,
ce dernier refuse, prétextant à juste titre, une autre invitation chez Madame
Contré.
André
ne désarme pas, disons, dimanche prochain monsieur le curé, nous partirons
ensemble, tranquillement à pied après la messe…
Le
vieux curé surpris…
« –
Tu seras donc à nouveau parmi nous dimanche prochain, bravo André, je suis fier
de toi. »
André :
« –
Mais je serai chaque dimanche avec vous désormais martèle t-il, pour que tous
l’entendent bien, mais surtout le répètent.
Le
vieux Curé :
« –
Dieu soit loué, je serai votre hôte avec plaisir dimanche prochain soyez en
certain, merci aussi Germaine. J’ai entendu parler de la qualité de la cuisine
que vous faites avec votre mère, j’ai hâte de la goûter à mon tour.
Jugeant
qu’il avait assez paradé, ils quittent le vieux curé et leurs nouveaux amis et
regagnent leur maison par le même chemin qu’à l’aller. Au passage, ils
s’acquittent du rituel hebdomadaire de la sortie de la messe et s’arrêtent à la
pâtisserie, pour commander quelques gourmandises sucrées pour le déjeuner.
Comme
tous, il attend avec sa famille patiemment son tour, pendant que Germaine et la
grand-mère discutent avec leurs copines de la pluie ou du beau temps. La
métamorphose soudaine d’André, les aura tous pris de court et elle sera sans
aucun doute, le premier sujet des conversations dominicales. Il s’attend
d’ailleurs, à ce que quelques bonnes âmes charitables dénoncent son nouveau
comportement au parti dès aujourd’hui.
La
nouvelle a déjà fait le tour du village, en passant, ils sentent les regards
derrière les carreaux des fenêtres entr’ouvertes. Ils sont épiés. André le
riche propriétaire, communiste depuis des lunes vient de rejoindre le camp de
l’église. Les mouches ont encore changés d’âne…
André
n’est pas mécontent de sa matinée, il est redevenu le principal sujet
d’interrogation et son revirement pose à tous la même question, pourquoi ?
La
petite famille est maintenant revenu à la ferme mais au lieu de reprendre ses
habits d’agriculteur, il garde sa tenue du dimanche, retire sa cravate et la
pend au dos d’une chaise.
Germaine
lui demande en le voyant ainsi :
« –
Tu ne vas pas aux champs voir tes bêtes cet après-midi? »