Dans tous les cas elle sera gagnante. Elle repartira de toute façon avec son mâle. Mais, la violence du combat l’effraie quand même. Le jeune mâle faiblit, toujours lucide, mais s’arqueboutant sur ses pattes arrières, de toute sa puissance de jeune mâle encore souple, fait un saut qui déséquilibre son adversaire et ils basculent tous les deux dans l’étang.
L’eau le réveille et lui redonne de la grande vigueur, il roule comme un tonneau pour faire lâcher prise définitivement à son adversaire. Il le sait plus gros, plus vieux, moins agile et doit pouvoir à son tour retourner la situation.
Le vieux mâle est surpris par cette manœuvre à laquelle il ne s’attendait pas. Il se retrouve entraîné par son poids et retourné sur le dos. Il est à son tour écrasé par le poids du jeune mâle. Sa tête heurte une racine qui avance dans l’eau. Il voit plein d’étoiles et lâche prise définitivement. Les queues frappent maintenant l’eau provoquant des geysers qui arrose le paysage à plus de 100 mètres à la ronde. Tout est trempée, rouge de sang et d’eau. Une vague énorme déferle sur les berges.
Les fleurs, les herbes sont foulées, cassées, écrasées , déchiquetées. Une tornade verte kaki, poussiéreuse traverse le paysage, tout est saccagé. L’eau s’écoule vers l’étang en entraînant le sang. Elle s’est teinte en rouge vif.
Les deux adversaires soufflent comme des phoques. Leurs yeux sont sortis de leurs orbites. Ils se lancent des éclairs de haine accompagnés de cris énormes, horribles, gluturaux qui doit résonner dans la forêt toute entière.
La bouche ouverte, baveuse, la langue dehors, rouge de sang, ils se dressent sur leurs pattes arrières et se font face, comme deux statues de bronze immenses, immobiles. Le temps d’un regard, Ils se fixent avec arrogance, mais quelque part aussi ils se respectent en vaillant combattants.
Le plus vieux sait qu’il a été jeune et comment il est devenu un mâle dominant. C’est l’histoire qui continue. Malheureusement, ils sont un de trop. Sur la terre ferme le plus jeune aurait pu s’échapper et laisser le vieux mâle à sa femelle mais ici dans l’eau, toute retraite vers la forêt lui est coupée par son adversaire. Il va falloir continuer.
Il a juste le temps de reprendre son souffle et ses marques avant la reprise du combat. Après la première salve, la seconde va commencer et il sait qu’il n’y en aura pas trois à moins qu’il puisse se sauver. De toute façon, le vieux mâle veut en découdre jusqu’au bout. Il a été provoqué, il se doit de se battre et gagner, sinon sa femelle le chassera, il sera banni et devra errer seul jusqu’à sa mort. C’est la loi de cette jungle.
Le jeune mâle s’approche tout doucement de la terre ferme pour chercher un appui. Il veut être en position légèrement supérieur pour mieux dominer la situation. Il a l’habitude du combat, Le vieux mâle remarque que le sang aveugle son œil droit du jeune mâle. Il doit tourner la tête pour le surveiller.
D’un seul coup d’un seul, il plonge au centre de la mare, un geyser monte vers le ciel et le cache un instant du seul œil valide du jeune mâle. Cette manœuvre lui permet de se retrouver derrière la tête du jeune mâle et de ses mâchoires de fer il enserre le derrière de son cou de toutes ses forces, il l’ l’entraîne sous l’eau. Aveuglé par l’eau et le sang le temps qu’il se retourne, le jeune mâle est pris dans un étau d’acier. Il est basculé dans un tourbillon de douleurs et d’étoiles qui le mette au bord de l’inconscience. Il s’affale sur le dos , la tête emprisonnée sous un mètre d’eau et 30 tonnes de chair. Sa tête semble explosée, ses pattes, et sa queue battent l’air et l’eau dans tous les sens avec une force inouïe. Mais très vite il manque d’air, et n’a plus aucun appui. Il est sur le dos impuissant et battu.
Le vieux mâle a été le plus malin, le jeune a basculé dans l’eau sans réfléchir comme une planche de salut, mais le piège s’est refermé sur lui. A ce jeu là , il s’est laissé surprendre. Il tente pourtant une dernière parade désespérée mais il se sent perdu. Il se détend d’un seul coup comme s’il était mort. Au bout de quelques instants le vieux mâle relâche son étreinte. C’est ce qu’attend le jeune qui se retourne d’un seul coup, violemment. Le vieux mâle méfiant resserre très fort ses mâchoires sur le cou de la bête immobilisée sous l’eau.
Un craquement sinistre comparable à celui d’un chêne qu’on abat retentit. Les os du cou se rompent , le jeune mâle meurt dans un râle de sang et s’affaisse au fond de l’étang devenu rouge écarlate.
Le vieux mâle maintient sa tète sous l’eau pendant encore quelques minutes
Puis il ressort de l’eau en tirant la bête hors de la mare pour bien montrer aux autres qu’il est le vainqueur et qu’il a tué son adversaire. Il le tient avec sa gueule, sa femelle vient l’aider. Quand le vieux dinosaure a terminé, elle lui lèche ses blessures pour le panser et le féliciter.
Elle est heureuse, son vieux mâle a vaincu ce jeune prétentieux. Il est encore bon pour le service. Elle est fière de lui. Leurs enfants grimpent sur le corps du vaincu et s’en servent comme d’un toboggan. Ils ont une fois de plus vu leur père se battre, et gagner. Ils sont contents et fiers de lui. Ils sont à bonne école .
Mais le vieux mâle est fatigué, il pousse un grand cri. Les jeunes dinosaures s’arrêtent de jouer. Le vieux mâle ne tient pas à s’éterniser ici. Il donne le signal du départ et ils repartent vers leur tanière en haut de la montagne, dans le même ordre que celui dans lequel ils sont venus, et dans un fracas étourdissant et épouvantable. Ils repartent et disparaissent aussi vite qu’ils sont arrivés.
Leur bruit s’estompe peu à peu dans le lointain. La nature renaît, les oiseaux se remettent à voler, gazouiller et à se promener. La faune revit après ce cataclysme. Il faut au moins cinq bonnes minutes pour que le petit groupe sorte de sa torpeur.
Le spectacle a été hallucinant,digne des meilleurs projections d Hollywood, les enfants se sont serrés les mains jusqu’à s’en faire mal tellement ils ont eu peur. Personne n’ose ni parler ni, ni bouger.
Seule Tapioca n’a pas arrêter de photographier les scènes. Deux pellicules de trente photos y sont passées.
Saucisse:
– ” Et si le dinosaure n’était pas mort bien qu’il soit immobile, il dit tout bas ce que beaucoup pensent tout bas ? ”
Au bout d’une dizaine de minutes, Umaguma descend de son mirador, sort tout doucement de sa cachette, il se dirige à pas feutrés vers la mare. Le Docteur Melchior prépare son briquet pour allumer le feu en cas de besoin mais garde tout le monde avec lui. Il s’approche de la bête, elle ne respire plus. Il aperçoit la blessure béante à la base du cou, le sang s’écoule encore par saccades de moins en moins fortes, entraînées par l’eau projetée sur le champ vers l’étang. Sa tête a un angle montrant que son cou est brisé. C’est la véritable cause de sa mort.
Il se retourne vers le Docteur Melchior et lui fait signe qu’ils peuvent venir. Il arrive aussitôt suivi de toute la famille. Doucement, l’ambiance se réchauffe. Ils se sont instinctivement tous saisis d’un bâton, illusion grotesque d’une défense aussi idiote qu’ inutile, car le dinosaure est mort. Mais, si il n’était que blessé s’eut été pire encore. Mais, chacun se protège comme il peut dans l’instant.
Ils entourent la bête en la touchant du bout de leur bâton.
Tapioca en la mitraillant:
– “On dirait une peau de crocodile”.
Saucisse:
– ” Tu as du en croisé beaucoup à Loulay…”
Tapioca:
– ” A Loulay non, mais à la Palmyre, mon père connait Monsieur Caillé le Directeur et une fois j’ai pu les voir juste derrière le grillage. Ils avaient le même gente de peau…”
Le Docteur Melchior :
– “Tu as raison, leur peau est identique…”
Tapioca regarde saucisse et lui tire la langue….
Le Docteur Melchior n’est pas très satisfait des évènements, mais la nature, dure, précise ses règles, elles ont repris leur droit.. Il se doit de les respecter. La nourriture, les peaux, sont des choses indispensables à la survie sur terre, les choses sont ainsi faites.
Le Docteur sait par contre qu’Umaguma sera fêté en grand guerrier, quand il ramènera un dinosaure dans la tribu de ses frères. Il n’est pas certain que le combat soit retracé exactement comme il s’est vraiment passé, mais qu’importe. Umaguma tient sa revanche, sur tous ceux qui le désavouèrent en d’autres temps.
Il sera le seul guerrier de sa génération, a ramener un dinosaure entier, intact et fraîchement tué. Les dinosaures se nourrissent de leur proie. D’habitude après le combat, ils le dévorent entre eux et ne laissent que les os, la carcasse et la peau. Mais le vieux dinosaure blessé et fatigué à préféré rentrer se reposer. Il sait que demain, ils pourront revenir et se servir, même si quelques charognards récupèrent quelques morceaux. Il leur en restera suffisamment.
La bête est entourée de branchages séchés et recouverte de larges fougères, de grandes feuilles verte qui la protégera pendant l’orage qui couve. Il sera le bienvenu, les orages de cette époque sont énormes, il durent longtemps et vont nettoyer les bords de l’étang, l’eau, le sol, l’herbe vont redevenir propre et il ne restera du combat que le sol dévasté et un dinosaure prêt à être consommé.
Umaguma entreprend un conciliabule avec le Docteur Melchior. Il lui explique que l’animal est si gros qu’ils ne pourront le dépecer seuls. Il vont y passer la nuit. Il va aller demander de l’aide au Chef de sa tribu. Il reviendra avec beaucoup de guerriers. Quand les dinosaures reviendront demain matin, la place sera nette, nettoyée par l’orage qui couve et le Dinosaure envolé.
Mais pour aller plus vite, il doit y aller seul. Il sera revenu bien avant le soir. Il est pour lui grandement temps de partir. Il donne ses dernières consignes de sécurité à Uma et au Docteur Melchior, en sachant qu’elles seront appliquées à la lettre et la présence du Docteur Melchior comme chef de troupe le sécurise encore davantage.
Umaguma prend quelques affaires pour se protéger et part sans se retourner. Il disparaît sous les arbres de sa marche silencieuse, souple et rapide faite d’une petite course semblable à celle d’un chat sauvage.